Sokaku Takeda naquit en 1858 dans une famille du clan d’Aizu. Petit-fils de Takumi Takeda, fondateur de l’école Takeda-ryû d’aïki-jûtsû, il perpétua à son tour les techniques d’aïki-jûtsû dont il fut le seul dépositaire.
Un épisode dramatique de l’histoire de son clan avait fortement marqué sa jeunesse. En 1868, eurent lieu diverses rebellions de samouraïs du dernier shôgun Yoshinobu Tokugawa refusant la disparition du shôgunat contre les forces impériales. Durant cette période trouble, le seigneur d’Aizu envoya ses troupes de samouraïs. Elles étaient accompagnées par un contingent de jeunes gens, dont la plupart, âgés de moins de 16 ans, appartenaient à un groupe appelé “Troupe du Tigre blanc”. Ils avaient pris position et s’attendaient à tenir jusqu’à l’arrivée de renforts mais leurs lignes furent enfoncées.
Dès que la défaite fut certaine, il fut ordonné à ces jeunes gens de rallier un emplacement plus sûr. Ils refusèrent tout d’abord de quitter leurs compagnons d’armes, puis, sur les instances de leur commandant, firent semblant d’accepter. Ils se réunirent alors sur une colline et se firent seppuku en témoignage de leur loyauté.
Cet épisode suscita à l’époque une vive émotion. Sokaku Takeda alors âgé de neuf ans, était trop jeune pour prendre part à cette bataille, mais il en fut fortement marqué. On raconte à son sujet qu’il se promit sur ce qu’il portait de plus sacré, de venger les samouraïs du seigneur d’Aizu en éliminant un à un les responsables de ce massacre.
En 1870, à l’âge de douze ans, Sokaku Takeda entreprit l’étude du ken-jûtsû au sein du Ona-ha Itto ryû. Très vite, sa virtuosité au sabre lui valut le surnom de “petit tengu du clan d’Aizu”. Dès lors, il allait surprendre tous ses maîtres et se créer peu à peu une réputation de sabreur exceptionnel. En 1874, le maître Momono-I, dont il fut l’élève au sein du Kyoshin-meichi-ryû, voulut le tester et lui proposa un duel au shinaï (sabre de bambou utilisé en Kendô).
Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il fut battu par son jeune élève alors à peine âgé de 16 ans ! En 1875, il étudia les techniques du Jiki-shinkage-ryû sous la direction du quatorzième grand-maître de cette école de ken-jûtsû. 1877 est l’année où il reçoit les menkyo-kaiden (diplômes autorisant la transmission) du Ona-ha Itto ryû (en ken-jûtsû) et du Hozo-in-ryû (en yari-jûtsû, techniques de lance). En 1880, ce furent les techniques Oshikiuchi qu’il aborda avec le maître Tanomo-Chikamasa… Ainsi se fit progressivement la synthèse de ces différents styles, enrichissant la tradition familiale d’aïki-jûtsû. A cette école, il va donner un nom : le Daitô-ryû jujûtsû.
Commence aux alentours des années 1875-1880 une période où SokakuTakeda va sillonner le Japon selon une tradition chère aux samouraïs (mushashugyo). Ne disposant pas de dojo fixe, il enseignait au cours de séminaires d’une dizaine de jours. Il lui arrivait de faire office de garde du corps auprès de chefs de la police ou de juges. On raconte que Takeda-Sensei avait mis au pas un clan entier de yakusa. Lorsqu’il arrivait dans une ville, deux cadeaux l’attendaient : l’un offert par la police, qui savait que la ville serait calme durant son séjour, et l’autre par les yakusa, qui voulaient éviter tout ennui.
Sokaku Takeda refusa longtemps d’obéir à la loi interdisant le port des deux sabres (loi en application depuis 1876 !), affectionnant particulièrement la canne de fer et le tessein (éventail fait de lames tranchantes en acier). A l’instar des samouraïs du passé, il était en permanence sur ses gardes. Jamais il n’aurait accepté qu’un inconnu s’occupe de ses repas et lorsqu’il était invité quelque part, il emportait sa propre nourriture afin de ne pas être empoisonné…
Ce personnage hors du commun avait tout des samouraïs du passé dont il n’accepta jamais la disparition. Il s’éteignit le 25 avril 1943 dans la gare de la ville de Aomori, alors qu’il était de retour dans le Honshû de l’un de ses séminaires à Hokkaïdô.