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O'SenseÏ

L'unité de l'homme et de la nature
1883-1901

C’est dans la région de Wakayama, à Tanabe, que naît le 14 décembre 1883 le fondateur de l’Aïkido, O’ Senseï Morihei Ueshiba. Tanabe est alors un petit village de pêcheurs situé aux abords de la mer intérieure du Japon.

Son père, Yoroku Ueshiba, un fermier aisé, descend d’une lignée de samouraïs, dont le dernier est le grand-père de Morihei Ueshiba, Kichiemon Ueshiba avait cependant transmis à son fils les secrets de l’aïoi ryû (“puissances associées”). Rien d’étonnant donc à ce que Yoroku Ueshiba oriente son fils vers l’étude des arts martiaux, d’autant plus que le jeune Morihei Ueshiba, se révèle avoir une santé très fragile. Son père l’encourage à pratiquer la natation ancienne et le sumo, à effectuer toutes sortes d’exercices physiques et à parcourir de longues distances à pieds. Yoroku Ueshiba suit avec une attention toute particulière l’éducation de son fils, à qui il donne le nom prémonitoire de “Morihei”, qui peut se traduire “Grande Moisson de Paix”.

La mère de Morihei Ueshiba, Yuki, est originaire d’une famille de propriétaires terriens de souche noble. Elle manifeste un grand intérêt pour la calligraphie, la littérature et la religion. Par sa mère, Morihei Ueshiba s’ouvre ainsi à la littérature et aux beaux-arts. Souvent solitaire, il lit avec avidité les classiques chinois, les récits et légendes de héros, et par-dessus tout les livres de mathématiques et de physique.

A l’âge de sept ans, Morihei Ueshiba est envoyé dans un temple bouddhiste shingon (littéralement “la Vraie Parole”. Il est une approche du bouddhisme que l’on peut qualifier de Bouddhisme ésotérique). Il y étudie les grands textes classiques du Confucianisme et du Bouddhisme. Le moine “Kukaï”, fondateur du Bouddhisme shingon au IXème siècle, éminent personnage doté de pouvoirs extraordinaires, exerce une véritable fascination sur le jeune Morihei Ueshiba. On raconte que ce moine était capable de peindre quatre murs simultanément preuve d’une excellente coordination du corps et de l’esprit…

Morihei Ueshiba étudie plus particulièrement au sein du Shingon Mikkyô (“Enseignement Secret Du Monde Véritable”). Cette forme du bouddhisme fut rapportée de Chine en l’an 806 par le moine bouddhiste Kûkai (774-835) nommé à titre posthume Kobo-Daishi. Elle appartenait au courant ésotérique (Mikkyô) du Bouddhisme des Ecoles du Nord (le Mâhâjâna). Elle est fondée sur une étude des deux grands Mandala (Mandara en japonais) appelés ensembles : Ryôkai Mandara. Soit le Taizo-kai Mandara du monde manifesté et le Kongô-kai Mandara du monde de l’esprit. Il s’ensuit pour l’homme la possibilité d’obtenir l’identification avec le Grand Bouddha par une pratique ascétique qui consiste en une récitation ou chant de mantra (mots ayant un sens magique).

Selon les propres écrits de Morihei Ueshiba, le Shingon Mikkyo, “bien qu’incomparablement plus complexe et sophistiqué que le Shintô, présente avec ce dernier un grand nombre de points communs”. Le Fondateur de l’Aïkido relève tout particulièrement “l’unité de l’homme et de la nature” mais surtout “l’efficacité magique du mot” (“mantra” dans le Shingon Mikkyo et “kototama” dans le Shintô).

A dix ans, Morihei Ueshiba aborde le Bouddhisme Zen au temple Homanji. Parallèlement, il continue à pratiquer les exercices que lui suggère son père. Cependant, ce jeune homme solide ne se satisfait pas de ses progrès. Une expérience le laisse particulièrement perplexe quant à sa capacité à appliquer ce qu’il a appris. Morihei Ueshiba a raconté bien plus tard cet épisode de son enfance. Alors que toute la famille dormait, des brigands s’étaient introduits dans la maison. Un bruit éveilla l’attention de son père. Son sang ne fit qu’un tour, il se leva, saisit un bâton et se lança à leur poursuite. Effrayés, les brigands s’enfuirent aussitôt. Ce souvenir laissa un goût amer au jeune Morihei Ueshiba, qui se rappelle son sentiment d’impuissance : “J’aurais voulu aider mon père. Je ne savais pas quoi faire…”

En 1901, à l’âge de 18 ans, après de brillantes études en physique et en mathématique, Morihei Ueshiba trouve un emploi à l’office des impôts de Tanabe. Il démissionne quelque temps plus tard, s’étant rallié à une protestation populaire contre une nouvelle législation sur la pêche.

La fréquentation des ryû
1902-1912

En 1902, Morihei Ueshiba part pour Tokyo et crée la Compagnie Ueshiba, une librairie papeterie. Son père le recommande auprès du Tenjin-Shinyo-ryû. Fondé en 1603 par Yagyû Munenori (1571-1646), du prestigieux clan Yagyû, ce ryû enseignait le kenjûtsû (art du sabre) et le yarijûstû (maniement de la lance) à la dynastie des shôgun Tokugawa. Les techniques du Yagyû-ryû sont appliquées en s’harmonisant avec les attaques et déplacements de l’adversaire. L’une de ses particularités consiste à laisser l’adversaire prendre l’initiative selon la doctrine du “non-sabre” (Mutô), fortement influencée par le Bouddhisme Zen. Yagyû Munenori fut d’ailleurs l’élève du moine Zen Takuan dont les lettres à son attention furent la base du célèbre ouvrage “Mystères de la sagesse immobile”. Yagyû Munenori fixa les principes du Yagyû ryû dans ses propres traités “Traditions familiales sur l’art des guerriers” et le “Gyokuseï Shû”.

“Dans la variété innombrable des techniques, il n’en est pas tellement de fondamentales. Ce sont :

1. Vaincre celui qui n’attaque pas en provoquant son attaque et gagner au moment où il attaque.

2. Vaincre au moment où l’adversaire attaque.

3. Contre celui qui connaît la première tactique, montrer un moment de vacuité chez soi et, lorsqu’il attaque, gagner au moment où il frappe. Il n’y que ces trois.”

” Gyokuseï Shû ” – Yagyû Munenori

C’est aussi l’époque où il aborde un grand nombre de techniques de différentes écoles : en particulier les techniques de sabre (ken jûtsû) du Shinkage-Yagyû-ryû et de maniement de la lance (Yari jûtsû) du Hôzôin-ryû. Cette école de Yari-jûtsû et Jô a été fondée à la fin du XVIème siècle par Ei Hôzô-In (1521-1607), un religieux bouddhiste gardien des temples de Nara. Ce ryû eut une grande influence sur la formation de Sokaku Takeda, le fondateur du Daitô ryû .

Morihei Ueshiba subit également les influences du Yoshin-ryû et du Shin-no-Shindo-ryû. Le fondateur du Shinkage-Yagyû-ryû, Iso Mataemon Masatari, fut un élève du Yoshin-ryû et du Shin-no-Shindo-ryû. Ayant élaboré sa propre méthode, il installa son école dans un village de la province de Koshu. Amené à combattre un groupe de brigands, il prit conscience du rôle déterminant des atemi (coups frappés) lorsque les adversaires sont en grand nombre. Il adjoint alors des techniques de frappes à la souplesse du jujûtsû du Yoshin-ryû. Le Yoshin-ryû vient de “Yo” (le saule) et “Shin” (l’esprit). Cette école de jujûtsû a été fondée à la fin du XVIIème siècle par Shirobi Akyama. Ce médecin de Nagasaki avait ramené d’un séjour en Chine des méthodes d’acuponcture, de réanimation (kwappo) et de lutte chinoise (kempo). Mais ces dernières, essentiellement basées sur la force, n’avaient aucune efficacité face à un adversaire plus puissant. Ses élèves l’abandonnèrent peu à peu. Résigné à reconsidérer son art, il s’imposa cent jours de méditation dans un temple de l’île de Kyûshû. Un jour où il neigeait, il entendit les branches d’un cerisier casser net sous le poids de la neige. Il observa alors comment les branches du saule pliaient sous la charge, puis se redressaient naturellement. Ce fut la révélation de la supériorité de la souplesse sur la force, réminiscence de son séjour en Chine et du taoïsme dont il devait alors saisir la portée…


“Qui se plie sera redressé

Qui s’incline restera entier

Rien n’est plus souple que l’eau

Mais pour vaincre le dur et le rigide

Rien ne la surpasse

La rigidité conduit à la mort

La souplesse conduit à la vie”

Lao-Tseu

Il définit 303 techniques qu’il enseigna à un grand nombre d’élèves dont l’un d’entre eux fondera le Shin-no-shindo ryû, une école de jujûtsû fondée au début du XVIIIème siècle par Yamamoto Minzaemon Hidehaya, policier de Osaka et élève du Yoshin-ryû auquel il adjoint de nouvelles techniques.

Mais il tombe soudain gravement malade et doit rentrer à Tanabe. Là, après une période de convalescence, il épouse Hatsu Itokawa, une amie d’enfance.

La guerre russo-japonaise menace d’éclater. Morihei Ueshiba cherche à intégrer l’armée. Il est réformé à cause de sa petite taille (1 m 53). Cependant il n’entend pas en rester là et passera des jours entiers dans la montagne, seul, à perfectionner ses techniques, allant jusqu’à se suspendre aux branches des arbres pendant des heures pour tenter de grandir. Il obtient enfin son incorporation et se distingue par sa maîtrise du combat à la baïonnette et ses qualités d’enseignant. Lors de ses permissions, il poursuit l’étude des techniques de sabre, de lance et de jujûtsû au sein du Yagyû-ryû à Sakai.

Goto-ha Yagyû Shingan-ryû, plus connu sous le nom Yagyû Shingan-ryû est, l’une des multiples écoles du Yagyû ryû. L’origine du Yagyû ryû remonte à la fin du XVIème siècle. Son fondateur, Yagyû Muneyoshi (1527-1606), avait étudié sous la direction des maîtres de l’Aisu Kuge-ryû qui transmirent aux guerriers du clan Yagyû leur méthode de ken-jûtsû, yari-jûtsû et jujûtsû. Il est le père de Yagyû Munenori qui fonda le Yagyû Shinkage-ryû en 1603.

Eclate alors la guerre russo-japonaise. Il se fait aussitôt remarquer pour son courage. Lors d’une expérience hors du commun qu’il racontera plus tard, une intuition extraordinaire lui permet de “visualiser” le tracé des balles avant même qu’elles ne soient tirées. On le surnomme le “dieu-soldat”….

En 1907, lorsque Morihei Ueshiba rentre à Tanabe, il a vingt-quatre ans, et une carrière toute tracée l’attend à l’Académie militaire. Mais son père a d’autres projets pour lui. Morihei Ueshiba partage alors son temps entre la ferme familiale et une association pour la jeunesse. Il poursuit l’étude de l’école Gotoha-Yagyû ryû dont il obtiendra plus tard un certificat de transmission (Menkyo Kaiden). Durant cette période, Morihei Ueshiba est très agité. Il lui arrive de se lever soudainement en pleine nuit et de se verser de l’eau glacée sur tout le corps. Il se retire parfois dans sa chambre où il chante à haute voix des prières bouddhistes ou des invocations aux kami. Il disparaît des jours entiers dans les montagnes où il jeûne et s’entraîne avec acharnement aux arts martiaux. Il pratique les techniques qu’il a étudiées dans les ryû et met au point des postures, des déplacements et des esquives. Il travaille inlassablement les mouvements de ken et de Yari, usant de ses propres méthodes pour approfondir ce qu’il a appris. Ces périodes solitaires de travail intensif s’inscrivent dans la grande tradition de méditation et de retraite des samouraïs du passé.

Soucieux de canaliser l’énergie débordante de son fils, son père aménage une grange en dojo et fait venir Kiyoichi Tagaki, un jeune instructeur de dix-sept ans venu enseigner le Judo Kodokan aux jeunes de Tanabe. Nous sommes en 1911. Morihei Ueshiba étudie le Judo pendant une période de plus d’un an alors qu’il poursuit la pratique du sabre, de la lance et du jujûtsû. Il s’améliore de jour en jour…

En 1912, il entreprend d’établir une colonie dans l’île d’Hokkaido. A la tête d’un groupe de colons de cinquante quatre familles, il s’installe dans cette contrée hostile au lieu-dit de Shirataki. Dans des conditions climatiques extrêmement éprouvantes, Morihei Ueshiba se révèle inflexible et, lorsque le doute et le désespoir gagnent les familles embarquées dans cette aventure, ses qualités de chef se révèlent. Il mène à bien l’installation de la colonie et plusieurs autres projets, dont le développement d’activités agricoles, la création d’une école et la construction d’une rue marchande. On l’appelle alors le “Roi de Shirataki”, il a 29 ans.

Le maître du Daito ryû
1915-1919

En février 1915, Morihei Ueshiba apprend que le maître d’un ryû très ancien et prestigieux enseigne des techniques radicalement différentes de celles qu’il a étudiées jusque là. Morihei Ueshiba découvre ainsi un maître d’une efficacité redoutable, un samouraï égaré en plein XXème siècle, formé aux anciens ryû et dépositaire d’un enseignement plusieurs fois centenaire…

Célèbre sabreur alors âgé d’une soixantaine d’années, Sokaku Takeda, le maître du Daito-ryû jujûstsû est un homme de petite taille mais d’une puissance et d’une volonté inébranlable. En 1898, lorsque Sokaku Takeda fut autorisé à transmettre les techniques d’aïki-jûtsû hors de la famille Takeda, il mit fin à des siècles de secret. Cet enseignement secret auquel il donna le nom de Daitô-ryû jûjûstsû, Sokaku Takeda le faisait remonter au Xème siècle, au Prince Teijun sixième fils de l’Empereur Seiwa-Genji. Il aurait ensuite été transmis à Minamoto Yoshimitsu qui, vivant à Takeda, donna ce nom à sa famille. Bien plus tard, ce ryû devait recevoir le titre prestigieux de “Trésor National Secret”.

Le futur fondateur de l’Aïkido n’hésitera pas à parcourir de grandes distances – une journée entière à cheval – pour se rendre à ses séminaires. Pourtant, sur une durée de trois ans, on évalue à moins de cent jours le temps total d’étude sous sa direction. Morihei Ueshiba, doté d’une mémoire prodigieuse et d’un sens aigu de l’observation, approfondissait chaque technique de maître Takeda en la pratiquant jusqu’à l’assimiler entièrement. Cette rencontre est incontestablement l’un des grands moments de sa formation. Lorsqu’on demandera plus tard à Morihei Ueshiba si l’Aïkido datait de cette époque, il fera la réponse suivante : “Non, l’Aïkido est venu après. Mais Takeda-Sensei m’a ouvert les yeux sur le principe du budô”.

En 1916, Morihei Ueshiba obtient un diplôme des mains de Takeda-Sensei. Pendant huit années, il va s’investir avec une rare énergie dans l’édification du village de Shirataki qui, malgré un incendie en 1917, prospèrera. Il y fait venir Sokaku Takeda à qui il offre un logement afin de profiter plus pleinement de son enseignement.

Deux ans plus tard, en 1919, lui parvient un télégramme l’informant que son père est gravement malade. Pour remercier Sokaku Takeda de son enseignement, Morihei Ueshiba lui fait don de sa propriété dans cette partie de l’île d’Hokkaidô, puis fait ses adieux à ses amis et part pour Tanabe, rompant définitivement avec l’aventure de Shirataki.

Le maître de L'omoto-Kyô
1920-1924

Sur le chemin de Tanabe, Morihei Ueshiba apprend le présence à Ayabe, près de Kyôto, du maître spirituel de l’Omoto-kyô (une branche récente du Shintô) : Onisaburo Deguchi. La réputation spirituelle du maître exerce une telle fascination sur Morihei Ueshiba qu’il remet son retour de quelques jours pour le rencontrer. L’Omoto-kyô ou “Enseignement de la Grande Source” a été fondé par madame Nao Deguchi à la fin du XIXème siècle. L’Omoto-kyô est l’une des multiples sociétés ayant développé une approche originale du Shintô. Onisaburo Deguchi en devint ensuite le guide spirituel. Trois principes fondamentaux constituent au centre de cet enseignement dont la caractéristique essentielle consistait à relier le “seul vrai Dieu” (l’esprit) à “la nature”, “l’énergie vitale” ou encore au “Ki”.

1. Observez les vrais phénomènes de la nature et vous penserez au corps (substance) du seul vrai Dieu.

2. Observez le fonctionnement impeccable de l’univers et vous penserez à l’énergie du seul vrai Dieu.

3. Observez la mentalité des êtres vivants et vous concevrez l’âme du seul vrai Dieu.


Lorsqu’il parvient à Ayabe, siège de l’Omoto-kyô, il est étonné de voir une foule aussi nombreuse. Il pénètre dans un temple et se met à prier pour son père. Quelques instants plus tard, Onisaburo Deguchi est assis à ses côté et lui demande s’il a vu quelque chose. Morihei Ueshiba lui répond qu’il a vu le visage de son père. Selon Onisaburo Deguchi, c’est signe que son père est en paix. Après un temps, Morihei Ueshiba comprend le sens de ces paroles : il n’y a rien qu’il puisse faire, la mort de son père est dans l’ordre des choses, il n’y a donc pas à s’inquiéter…

Arrivé à Tanabe, son père est décédé. Sur sa tombe, Morihei Ueshiba fait la promesse de consacrer sa vie à percer le secret du budô.

Pour retrouver l’Omoto-kyô, il s’installe avec sa famille à Ayabe. Onisaburo Deguchi reconnaît aussitôt en Morihei Ueshiba des facultés exceptionnelles. A cette époque, Onisaburo Deguchi est l’un des rares à entrevoir l’avenir spirituel du budô. Loin de considérer cet art martial comme une pratique réduite à ses techniques, il encourage Morihei Ueshiba à transmettre cet enseignement aux membres de l’Omoto-Kyô. Morihei Ueshiba ouvre un petit dojo, Ueshiba Juku, et y enseigne d’abord le Daito-ryû jujûtsû dans le style de Takeda-Sensei. Il poursuit également son étude du Shintô et du ko-Shintô (Shintô ancien) au travers de textes fondamentaux comme le Kojiki. Le kototama (ésotérisme Shintô), éclaire son art d’une lumière nouvelle…

Morihei Ueshiba enseigne tout d’abord sous le nom Daito-ryû jujûtsû les techniques étudiées auprès de Takeda Sensei, grand maître du Daitô-ryû. Il ajoute ensuite “aïki” à la précédente formulation. Il nomme alors son art le Daito-ryû aiki-jujûtsû. Selon certains témoignages ce changement se serait effectué sur les conseils de Onisaburo Deguchi, afin de souligner l’aspect “spirituel” de l’enseignement du Fondateur. Selon d’autres sources, Sokaku Takeda, le maître du Daitô-ryû, aurait constaté une grande différence entre les techniques de son ryû et celles modifiées et enseignées par O’ Sensei. Il aurait alors demandé à Morihei Ueshiba de ne plus appeler son école Daito-ryû jujûtsû. Quoiqu’il en soit, cette nouvelle formulation marquait une approche plus personnelle et une évolution dans la compréhension des principes de son art.

Sokaku Takeda décide de les rejoindre et s’installe avec sa famille à Ayabe. A l’âge de 33 ans, Morihei Ueshiba recevra un certificat le consacrant maître de Daito-ryû jujûtsû et l’autorisant à enseigner ainsi qu’un autre diplôme important du Shinkage Yagyû-ryû.

Morihei Ueshiba devient le maître d’un art en pleine évolution. C’est l’époque où il transcende progressivement les formes anciennes des techniques, s’orientant vers une signification spirituelle plus profonde.

En 1924, Onisaburo Deguchi et Morihei Ueshiba partent clandestinement pour la Mandchourie et la Mongolie. Ils projettent d’y fonder un Etat conforme aux préceptes de l’Omoto-kyô : un royaume de paix. Mais leur entreprise tourne court. Ils sont arrêtés par les autorités chinoises et condamnés à mort. Ils sont grâciés suite à l’intervention d’un membre du consulat japonais. De retour, Morihei Ueshiba reprend son enseignement à l’Académie Ueshiba.

La révélation du budô
1925

En 1925, Morihei Ueshiba a 42 ans. Devenu expert dans l’art du sabre, de la lance, du jô et le jujûtsû, il a pratiqué la plupart des arts martiaux qu’il maîtrise parfaitement. Doté d’une puissance extraordinaire, il demeure invaincu. S’il est conscient que son budô s’est affranchi des formes violentes des techniques du passé, intégrant souplesse et harmonie (aïki), à ses yeux, il reste encore associé à la lutte de deux adversaires. Or Morihei Ueshiba pressent que la seule vraie victoire, c’est la victoire sur soi-même, la victoire par la paix …

“Dans le vrai budô, il n’existe pas d’ennemi. Vous ne devez pas vous entraîner pour devenir fort ou capable de vaincre n’importe quel ennemi, mais pour que vous puissiez être utile à la paix universelle.” (*)

Une expérience extraordinaire lui confirme alors le travail de toute une vie : c’est la “révélation du sens profond du budô” .

La scène se passe dans le dojo du fondateur. Un maître de sabre exige un combat avec lui. Après plusieurs refus, Morihei Ueshiba finit par accepter tout en lui expliquant qu’il combattra à mains nues. Le combat commence. Le maître de sabre saisit un boken et tente de le toucher. Le premier coup rencontre le vide : Morihei Ueshiba a simplement esquivé le boken en se déplaçant. Le maître de sabre tente un deuxième coup, plus rapide, plus précis. Rien n’y fait, Morihei Ueshiba, n’est jamais là où tombe le boken. Morihei Ueshiba expliquera plus tard qu’il pouvait “visualiser” à l’avance la trajectoire des coups de boken comme il l’avait expérimenté au front avec les balles de fusil. Comprenant qu’il lui est impossible de le toucher, le maître de sabre quitte le dojo. Morihei Ueshiba sort pour se rafraîchir.

C’est alors qu’il fait cette expérience proche de l’illumination : Soudain il lui semble que le ciel descend. De la terre, surgit comme une fontaine une énergie dorée, une énergie qui enveloppe son corps…

“… A cet instant je pouvais comprendre que le travail de toute ma vie dans le budô était réellement fondé sur l’amour divin et sur les lois de la création.” (*)

Toute chose lui apparaît alors avec un tel niveau de clarté qu’il l’éprouve intensément jusque dans son être profond. Cette conscience intime que tout être est uni à l’univers éclairera désormais sa voie dans le budô :

“Il faut envelopper tout par l’amour (aï), laisser s’écouler tout avec l’esprit, alors, pour la première fois, le monde du mouvement de l’énergie (ki), de l’esprit et du corps basé sur l’union entre soi et autrui s’exprime.” (*)

C’est le sens de la vraie victoire, non la victoire par la destruction, mais une victoire de l’esprit d’amour où soi et autrui ne font qu’un, une voie des dieux réalisée dans le budô…

“…Les divinités et les hommes sont identiques, l’univers, c’est soi. La divinité du budô transcende la victoire ou la perte d’un individu et cette divinité obtient la victoire absolue. Le but suprême du budô consiste à l’atteindre”. (*)


(*) : Cité par William Gleason dans “A la source spirituelle de l’Aïkido” (Guy Trédaniel Editeur – 1996)

L'action de présence, la sagesse
1926-1969

Dans les années 30, Morihei Ueshiba bénéficie d’une reconnaissance grandissante et de l’aide de personnalités influentes parmi lesquelles des officiers de la marine impériale. Jigoro Kano, le fondateur du Judo, lui rend visite. Il est tellement impressionné qu’il confie au fondateur:
“ Vous avez réalisé mon idéal du budô ”.

En 1926, Morihei Ueshiba ouvre un nouveau dojo à Tokyo : le kobukan, également connu sous le nom de “dojo de l’enfer” tant la pratique y est intense. Son budô est alors indifféremment appelé : Kobu budô, Ueshiba-ryû aïki-budô ou simplement aïki-budô.

“Kobu-Budô” signifie : Voie Impériale martiale. Ce sera l’appellation consacrée pendant la période d’avant-guerre, celle du Kobukan (dont on retrouve le même idéogramme “kobu”) et du Budô Senyokai. O’ Sensei relie alors le “bû” de budô non plus à la grande tradition des samouraïs, mais bien au delà, à la Voie des dieux. Cette Voie impériale nous ramène donc au Shintô originel, au Ko-Shintô, à la généalogie des Empereurs du Japon, descendants directs d’Amaterasu.

Ueshiba-ryû aïki-budô. En 1924, Sokaku Takeda adopte la même formulation que O’ Sensei pour nommer son école : le Daito-ryû aiki-jujûtsû. Pour s’en distinguer, Morihei Ueshiba utilise alors indifféremment les noms Aïki-jujûtsû et Ueshiba-ryû aïki-budô. Toutefois, les relations entre Sokaku Takeda et Morihei Ueshiba se dégradent, probablement en raison de l’influence de Onisaburo Deguchi et la direction plus “spirituelle” que prend alors le Fondateur. Cette nouvelle formulation identifie clairement Morihei Ueshiba comme le fondateur de ce nouvel art martial, elle marque son indépendance à l’égard du Daito ryû. Pourtant, il s’agit encore de techniques d’aïki-budô : l’application de techniques sous leur forme martiale, le principe d’aïki (harmonie), en vue d’une efficacité plus grande encore.

Dans les années trente, des instructeurs du Kashima-Shinto-ryû firent des démonstrations de ken jûtsû au Kobukan. Le Kashima Shinto-ryû est une Ecole de kenjûtsû fondée au XVIème siècle par Tsukahara Bokuden (1490-1571) et lié au sanctuaire Shintô de Kashima. Ce ryû est issu du Katori-Shinto-ryû (parfois appelé sous son nom complet Tenshin-Shoden Shintô ryû). Fondé au milieu du XIVème siècle par Chôisai Iizaza (1387-1488), le Katori Shintô-ryû (sanctuaire Shintô de Katori), transmet un enseignement fondé sur le maniement de différentes armes : ken (sabre), kodachi (sabre court), ryoto (deux sabres), iaï (art de dégainer le sabre), yari (lance), bô (bâton long), naginata (hallebarde), shuriken (couteau et autres armes de lancer). La pratique de différentes armes (sogo bujûtsû) était très répandue au sein des ryû. Ce ne fut qu’au cours de la période dite “moderne” des arts martiaux qu’eut lieu une spécialisation en une seule arme ou technique. Une citation de maître Otake, le grand maître du Katori Shintô-ryû, résume le fondement de tout enseignement au sein des ryû :

” Si l’on commence à se battre, il faut gagner, mais se battre n’est pas le but. L’art guerrier est l’art de la paix; l’art de la paix est le plus difficile: il faut gagner sans se battre. “


En 1932, l’Omoto Kyo fonde le Budô Senyokai (société pour la promotion des arts martiaux) qui ne dure que trois années. Morihei Ueshiba y enseigne, puis, à la disparition du Budô Senyokai, répond à diverses invitations pour faire la démonstration de son art.

En 1939, Morihei Ueshiba est invité en Mandchourie à l’occasion d’une démonstration de divers arts martiaux (Judo, Kendo, Kyûdo, Aïkido). Il commence à effectuer quelques techniques puis, conscient du scepticisme ambiant, s’interrompt. Il propose alors à l’assistance de mettre son budô à l’épreuve. C’est le plus jeune expert de sumo de l’assemblée, Tenryu, alors âgé de 35 ans, qui s’avance. Il aborde l’invitation avec confiance, sûr de faire aisément tomber ce petit homme de plus de 50 ans. Morihei Ueshiba lui déclare que le budô est bien autre chose que ce qu’il imagine. Il l’invite à utiliser toute sa force. Au premier contact avec le maître, Tenryu ressent comme jamais un engourdissement de tout son corps, il a l’impression de saisir une barre de fer . Il tente encore de tordre le bras du maître, alors Morihei Ueshiba retourne sa force contre lui et le projette.

Vivement impressionné et ébranlé dans l’idée qu’il se faisait de lui-même et du budô, Tenryu décide de rencontrer le maître le soir même, mais cette fois pour lui demander d’étudier sous sa direction. Il s’établit à Tokyo et commence la pratique au Kobukan…

En 1941, lors de la guerre du Pacifique, alors que les élèves sont appelés sous les drapeaux, Morihei Ueshiba s’installe avec sa femme à Iwama. Il a 58 ans, vit retiré du monde, cultive la terre et fait construire un nouveau dojo conformément aux principes du Kototama. Durant cette nouvelle période de solitude, Morihei Ueshiba ne cesse de perfectionner son art. Son budô est bientôt connu sous son nom actuel : l’Aïkido.

O’ Sensei réinterprète l’ancien idéogramme “aïki” (harmonie) en lui donnant une signification nouvelle. Le Fondateur explique que l’esprit d’aïki consiste à envelopper l’attaquant d’un amour qui l’amène à abandonner son esprit hostile. “aïki” est donc bien plus qu’une tactique supérieure (souplesse et harmonie) pour projeter ou contrôler un adversaire. Pour O’ Sensei, “l’Aïkidô est la réalisation de l’amour”; “le vrai Budô est amour”; “l’esprit de l’Aïkidô est celui d’une attaque amoureuse et d’une réconciliation pacifique”; “par l’amour, nous sommes capables de purifier les autres”…

Durant l’occupation américaine, la pratique des arts martiaux est formellement interdite. L’Aïkido sera le premier art martial à être à nouveau autorisé. En 1948, le fils du fondateur, Kisshomaru Ueshiba, prend la direction de l’Aïkikaï (la nouvelle organisation de l’Aïkido). Morihei Ueshiba continue à enseigner, mais se consacre avant tout aux multiples démonstrations dans tout le Japon. De nombreux experts cherchent à mettre à l’épreuve ce budô, qui intrigue par son caractère à la fois récent et profondément traditionnel.

Ainsi, le champion de boxe Horiguchi, dit “le Piston”, demande à rencontrer Morihei Ueshiba pour confronter l’Aïkido à la boxe. Le maître accepte et l’invite à l’attaquer de toute ses forces. Dès le premier assaut, Horiguchi investit toute sa puissance dans son attaque. Il a ne rencontre que le vide. Au second assaut, la force d’Horiguchi se retourne contre lui et il tombe au sol, les deux bras cassés…

Durant les années 50, l’Aïkido gagne en notoriété. Le prestige du fondateur dépasse largement le cadre des arts martiaux. Ses élèves sont envoyés aux quatre coins du monde pour transmettre son enseignement. Retiré à Iwama, Morihei Ueshiba entretien le rayonnement de l’Aïkido dans le monde. C’est le Kami-Waza, la transmission au delà des formes, une action de présence qui caractérise les plus grands maîtres. Elle se prolonge encore aujourd’hui dans tous les dojo où l’esprit du fondateur, sous la forme symbolique du Kamiza, est bien présent pour tout Aïkidoka….

O’ Sensei s’éteint le 26 avril 1969 à l’âge de 86 ans. Le jour même, le gouvernement lui décerne l’Ordre du Trésor Sacré, la distinction la plus élevée au Japon.

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