Alors qu’au XIIème siècle, les samouraï pouvant mourir à tout moment au combat, une Voie des guerriers paraissait parfaitement naturelle, au XVIIème siècle, en période de paix, les samouraï n’en perçoivent plus nécessairement le fondement. Certains en éprouvent toutefois de la nostalgie, et, l’éloignement aidant, évoquent les temps anciens, où les guerriers étaient valeureux et plein de force.

Dans l’espoir que le temps n’emporte pas ce qui faisait leur raison d’être, de nombreux samouraï s’attelèrent à fixer par écrit les grands principes du bushidô, essayant ainsi de répondre aux questions essentielles de cette Voie.

"Se précipiter au plus épais de la bataille et s'y faire tuer c'est assez facile et c'est une tâche à la portée du plus simple des rustres; mais c'est le propre du vrai courage de vivre quand il faut vivre et de mourir seulement quand il faut mourir".

Telle est la surprenante déclaration attribuée à un Prince du fief de Mito et servant de base de réflexion à des générations de samouraï. Que dit-elle ? Non pas que la vie n’a pas d’importance, ni même que le vrai courage consiste à vivre à tout prix, mais que le sens de la vie d’un samouraï doit être placé au-dessus de la vie même : De là la grande question du bushidô : Quelle est la valeur de la vie pour un samouraï ?

La réponse des samouraïs est d’une simplicité déconcertante :

"J'ai découvert que la voie du samouraï réside dans la mort.(...) Nous préférons tous vivre et il est naturel que l'être humain se trouve toujours de bonnes raisons pour continuer à vivre. (...) Quand un samouraï est constamment prêt à mourir, il a acquis la maîtrise de la Voie et il peut sans relâche consacrer sa vie entière à son seigneur."

Les plus grands maîtres s’entendent pour dire que la vie doit être préservée autant que possible, autant qu’elle a un sens. La vénération de la vie n’est-elle pas le sens profond du Shintô. Le shôgun Tokugawa Ieyasu lui même a cette formule :

" Le sabre est bien employé s'il subjugue les barbares alors qu'il repose, brillant, dans son fourreau. S'il quitte le fourreau, son utilisation ne peut être que mauvaise".

Pourtant, lorsque le seigneur, le clan ou l’honneur est en jeu, un samouraï ne doit pas tergiverser. Son devoir lui impose un acte décisif si nécessaire au sacrifice de sa vie. Il serait pourtant bien naturel de peser le pour et le contre devant une décision aussi absolue. Mais un samouraï raisonnant de cette manière serait assurément incapable d’agir. La première injonction du bushidô, cette Voie du samouraï, exige donc un état de tension permanente, une préparation de tous les instants à la mort. 

Ainsi, au dessus de la vie, le bushidô place le sens de la vie. Non pas un attrait morbide et fanatique pour la mort, mais une conduite où chaque acte, au regard de l’absolu, peut être pleinement assumé, une Voie de vie. Le bouddhisme zen l’exprime sous sa forme la plus paradoxale :

"Le sabre qui tue est le sabre qui donne la vie".

Consacrer sa vie à son seigneur constitue l’origine et le sens de la fonction de samouraï. Si les prouesses guerrières ne sont plus au centre des qualités que l’on attend d’un “vrai samourai”, l’instruction et l’intelligence – pourtant indispensables pour tenir son rang – passent au second plan devant les vertus du coeur. Sous la forte influence du néo-confucianisme se modèle ainsi une nouvelle manière de définir la Voie du samouraï.

"...Sans vertu, un samouraï, fut-il célèbre, intelligent, grand orateur et plein d'esprit, ne serait qu'un vaurien (...) Un homme qui méconnaît la vertu n'est pas un samouraï (...) Loyauté, esprit de justice, bravoure sont les trois vertus naturelles du samouraï "

L’auteur de ces sentences se nomme Daidoji Yusan (1639-1730). Il est l’un de ces nombreux érudits à mettre par écrit une réflexion sur le bushidô dans un ouvrage au nom explicite : “Budô Shôshin Shû” (“Lectures élémentaires sur le bushidô”). D’autres vont suivre, dans une véritable frénésie de textes : supposés fixer les principes du bushidô. 

" Celui qui apprend mais ne met point en pratique l'enseignement, celui-là est comparable à un pauvre hère occupé à compter le trésor des autres. Beaucoup de beaux discours, mais pas la moindre vertu intérieure - voilà la caractéristique de ceux qui oublient la pratique ! "
Soutra de l'ornementation fleurie